Bonjour. Vous ne me connaissez pas. Vous ne m’avez jamais vu, vous ne me voyez pas et ne me verrez jamais.
Je suis une particule quantique et je viens de la planète Megarra. Tout notre peuple vit sous cette forme et est plongé depuis des temps immémoriaux dans une léthargie glaciale. Nous n’éprouvons aucune émotion et chaque instant présent est juxtaposable à celui qui le précède mais aussi à celui qui le suit. Afin de tâcher de nous sortir de cette torpeur abêtissante, notre bon Roi Krag envoie parfois certains d’entre nous à travers la galaxie en quête d’un remède à notre état végétatif.
Cela fait quelques jours que j’ai été choisi pour partir en direction de la Planète Bleue comme l’appelle mon voisin de cellule. Il arrive parfois que les missions revêtent un caractère particulier ; la mienne en fait partie. On m’a demandé de partir à la quête du mythe de l’éclair. Je ne sais pas d’où vient cette légende mais j’ai été programmé pour suivre un groupe d’humains qui auraient, a priori, fait révérence à cette religion.
Je m’apprête donc à verser mon encre photonique pour rendre compte à mon roi de ce que j’ai vu, vécu et analysé puisque j’arrive à lire dans les pensées et dans les cœurs. Ne comptez pas par contre sur moi pour individualiser mes propos, je ne peux retenir aucune identité, hormis la mienne – Matricule ACDC 1847.
Mon carnet de vol m’amène à un premier point de rendez-vous où les quatre premières personnes se sont donnés rendez-vous à un péage d’autoroute. Ils se saluent et semblent se charrier gentiment quand l'un d'entre eux décide de mettre un sac de voyage arborant des couleurs honnies par d’autres dans le coffre. Il faudra que j’étudie à mon prochain voyage cette autre religion que semble être de jeu de ballon rond. Je m’installe sur le tableau de bord et attend la prochaine étape tout en observant ces quatre individus venus de partout mais réunis. Ils semblent joyeux. Je le note avec précaution dans mon carnet à neutrons mais je ne comprends pas.
Après quelques heures de route, nous arrivons à destination où d’autres personnes nous attendent. Ils sont attablés autour de nourritures et de breuvages que certains qualifient comme « euphorisants ». Cela ne semble pas suffire à leurs besoins physiologiques car ils vont s’installer dans un établissement proposant des spécialités régionales. Je croyais qu’ils parlaient tous le même langage ; j’ai dû me tromper car la plupart d’entre eux ne connaissent pas les intitulés des plats. Ils en rient. Je ne comprends pas une nouvelle fois. Un des leurs devient pendant quelques minutes l’objet de quolibets car il a redoublé une classe du collège – si je me souviens bien – jugée facile par ses acolytes. Ils le chambrent. Je ne comprends toujours pas.
Les êtres humains ont l’habitude de se coucher le soir pas longtemps après diner ; je l’ai lu dans mes fiches. Ceux-là semblent différents puisqu’ils décident d’aller chez un autre, qui est absent ce soir. Drôle d’idée me dis-je. Ce qui est plus bizarre encore est qu’ils se prennent en photo devant la voiture de ladite personne en dévoilant une partie charnue de leur anatomie. Ils sont hilares. Je comprends de moins en moins pendant qu’ils rentrent pour enfin se coucher.
Le matin commence pour moi dans le même brouillard. Ces personnes ont des pratiques qui ne sont pas inscrites sur mes notes. Faut-il regarder quelqu’un pendant qu’il dort ? Faut-il en regarder un autre pendant qu’il se douche ? Je voyage en Planète Bleue inconnue et j’ai bien peur de revenir bredouille, ou plutôt « broucouille » comme on dit sur Megarra. Avant de partir à la messe – c’est comme ça en tout cas que j’ai compris le but final de la journée – je remarque qu’ils ont tous un éclair sur leur tee-shirt, voire sur leur peau. Je suis sur la bonne voie. Nous reprenons le véhicule direction « L’Eglise » pour quelques heures. A mi-chemin, nous nous arrêtons et retrouvons une nouvelle personne que l’on appelle « Chef ». Chez moi, on s’abaisse devant le Chef. Ici, on l’embrasse ! Je suis face au néant intersidéral.
Enfin, nous arrivons sur le lieu de la cérémonie. Ce dont je m’aperçois en premier lieu est que ne nous ne sommes pas seuls. Plus de 100 000 humains sont venus vénérer je ne sais qui, je ne sais quoi car je ne vois aucune statue, aucune effigie. Seule une immense scène domine cette plaine de toute sa hauteur au pied duquel mes protégés vont se blottir.
Pour l’instant, je n’avais lu que les pensées. Je sens que l’endroit et l’atmosphère qu’il dégage sont différents. Il est temps pour moi de sonder les cœurs. Pendant qu’ils discutent entre eux, je sens bien qu’ils ne sont plus tout à fait les mêmes. Au fur et à mesure de l’après-midi, même si aucun prêtre ou officier digne de ce nom n’est venu sur scène, le stress et l’impatience se mélangent. Stress car on ne sait pas si la cérémonie sera de qualité, si ceux qui seront sur scène tiendront le choc et pire, si certains nouveaux appelés feront oublier les anciens. Des anciens que l’on a vénérés et qui ne sont plus là. Est-ce trahir que d’aimer quelqu’un d’autre ?
Un écueil de l’homme est sa faiblesse. J’ai eu devant moi la preuve flagrante. Certains ne veulent pas acheter de souvenirs car ils sont moches et chers ; et pourtant ils craquent … D’autres sont encore plus faibles puisqu’ils savent qu’ils vont acheter des souvenirs moches et chers et le font sans retenue et avec le sourire. Je ne comprends pas plus.
Le temps passe et toujours pas le moindre indice quant au début de la cérémonie. De nouvelles boissons euphorisantes sont distribuées ; je ne comprends de moins en moins ce rituel. D’autres profitent de ce moment pour prendre des photos de groupes ou des vidéos avec leur corps. Ils sont vraiment bêtes ceux-là ! Tout ceci me semble vain et inutile.
Enfin, deux personnes montent sur scène. Ils ne sont pas musiciens mais diffusent de la musique. Cela ne provoque aucune réaction de mes protégés entièrement voués à leurs compères. J’apprendrai plus tard qu’ils se font appeler la « H2 TEAM ». Admettons.
Enfin, une prêtresse arrive sur scène accompagné de ses officiers. La musique m’apparaît plus forte. La « H2 TEAM » regardent poliment mais cela ne les emballe pas. Certains d’entre eux posent l’hypothèse d’une certaine virilité de la prêtresse alors que d’autres pensent que l’un des officiers est un zombie. Globalement, les signaux émis sont courts et sans amplitude.
La dernière note de cette cérémonie ayant retenti, je détecte de suite un rebond sensitif, dirons-nous. « Enfin, on va en découdre » entends-je dire. Quelque-chose est-il en train de se dévoiler ? A l’image de l’éclair géant qui apparait sur les côtés de la scène ?
Les minutes défilent et les cœurs s’échauffent. L’adrénaline semble être à son comble. Une ovation déchire alors brusquement la plaine. Un véhicule est apparu sur les écrans et semble venir à notre rencontre tout en défiant toutes les lois de la circulation routière. Puis, elle s’arrête brusquement devant la foule. Et c’est à ce moment-là qu’apparait Dieu. Ce n’est pas moi qui l’appelle comme ça mais c’est ce qui résonne dans tous les cœurs. Il est apparu habillé comme un lutin diabolique, un « écolier » a priori. C’est ce que les humains appellent la folie dans et autour de la H2 TEAM. C’est une véritable explosion de joie que je n’arrive pas à saisir. Et c’est ce petit homme qui arrive à emmener derrière lui en quelques secondes ces dizaines de milliers d’adeptes.
Quelques secondes plus tard apparaît un autre homme, casquette vissée sur la tête. Une joie immense inonde la fosse. C’est difficilement descriptible la façon dont est accueilli cet homme qui commence à chanter. Sa voix fait chavirer mes protégés qui déclament à qui veut bien le ressentir : « Il est de retour ». Les deux heures qui suivront oscilleront entre extase visuelle et sonore et peur de l’incident auditif. Et de son côté, ce monstre du rock’n’roll – je l’ai scanné dans les esprits – n’en peux plus de faire virevolter sa joie auprès des gens venus l’écouter. Même si le fil rouge de la perte de souffle rôde … N’oublie pas de t’économiser pense-t-il … « Chante ! Ne parle pas ! Souffle entre les morceaux ! » Cette incantation tourne en boucle dans sa tête et la H2 TEAM la perçoit. Allez, des encouragements et des bravos sans discontinuer pour lui faire tenir le cap. Un amour réciproque inonde les cœurs de part et d’autre de la barrière.
Je ne vous ai pas encore parlé des trois autres officiers. Certains émettaient des doutes sur ce combo tout juste formé. Ils ont très vite disparu. L’un frappe fort et bien, l’autre s’applique et se donne et le dernier groove on ne peut mieux. Et de surcroît, les chœurs font chavirer les cœurs à l’image du tintement de la cloche qui descend du plafond. Je ne comprends toujours pas.
Et pendant ce temps-là, notre lutin monte en puissance ! Il étonne par sa propension à arpenter la scène même si les efforts sont calculés, cela s’est entendu ! Sauf, que sur le dernier tiers du concert, son auto-recommandation est on ne peut plus simple : « A fond ! ». Jusqu’au dernier coup de canon, son esprit semble sortir de son corps, je n’arrive plus à le capter. Sa guitare et lui fusionnent au point que les notes le font virevolter et rouler par terre. Un enfant heureux ! Un enfant comme Dieu ! Cela me dépasse encore de très loin.
Les lumières se rallument, les sourires sont là. Tout le monde se réjouit d’avoir été là. Des photos, des boissons … Encore et encore … Ai-je raté quelque-chose ?
La messe est finie. Ma mission semble terminée ; je me décide à rentrer.
A mi-chemin du retour, je me souviens d’une phrase que j’ai retenue quelque-part dans le cosmos : « Rassembler ce qui est épars. » Mais se rassembler pour quoi faire ? Pour créer de l’émotion ?
A ce moment-là, une cloche et un riff de guitare viennent sonner dans ma tête.
J’ai compris. J’ai tout compris.
Une particule quantique peut-elle sourire ?
Cette review est dédicacée à tous les amateurs de SUPER-8 avec qui mes rapports furent aussi divers qu'enrichissants.






