Comme promis, je vous propose un petit retour sur cette exceptionnelle soirée que nous a réservée Iggy et ses trublions des Stooges en ce 14 juillet. Le plus dur étant de rassembler ses idées et de savoir par où commencer tant les images se bousculent dans ma tête à force de m'en être pris plein les mirettes.
Iggy Pop, je l'ai découvert en solo il y a une quinzaine d'années, quand ses tubes parsemaient la BO de Trainspotting. Je me suis d’abord fait les dents sur Lust For Life, album superbe mais à la production bowiesque un peu trop virginale, avant de découvrir médusé Raw Power : un concentré de pure force brute qui, même à l'heure du speed trash doom grind core power métal, reste l'une des expériences les plus extrêmes du rock. 33 minutes de rugissements, de guitares saturées, de duels à l'épée (si, si !) par 4 gars complètement dingues, 33 minutes qui, comme tous ceux qui l'ont écouté, m'auront profondément marqué.
Voilà pour le contexte. Quand, il y a quelques mois, j'entends que les Stooges seront de la partie au festival des Nuits de Fourvière à Lyon, c'est à dire à deux bornes de chez moi, et qu'ils joueront Raw Power, je défaille. 5 ou 6 ans après une première claque vécue à Aix-les-Bains, j'allais me reprendre une méchante tarte rock 'n' roll dans la tronche. Je vous passe les détails de la lutte pour avoir ma place : sold out en 2 temps trois mouvements, les forums sur Iggy Pop quasi-inexistants, les offres sur ebay rares et (très) chères. Tantôt je crois que c’est bon, tantôt ça tombe à l’eau, ça tergiverse, ça avance, ça recule, et comment voulez-vous que j'exulte ? C’est finalement d’un copain de copain de collègue que viendra le salut, avec un Chronopost venu de l’autre bout la France et arrivé miraculeusement au dernier moment. Tout est en place pour la grande fiesta du rock le lendemain.
J'arrive aux théâtres romains de Fourvière sur le coup de 6 heures, histoire de me ménager une bonne place. Comme Iggy n'est pas AC/DC en termes de notoriété et de "tendance", c'est largement suffisant pour se retrouver collé à la grille. Et vu la taille intimiste du site, collé à la grille, ça veut dire qu'il suffit de tendre la main pour toucher la scène (j'exagère à peine).
Je sirote tranquillement ma bière quand débarque sans prévenir la première partie : un hurluberlu en costume de bagnard, un manteau du genre la robe de chambre de ma grand-mère et un chapeau de paille : Son of Dave. Avec un harmonica et une boîte à rythme, il nous balance un son bluesy assez sympa, quoique dénotant assez avec ce pourquoi nous sommes venus.
La première partie aura néanmoins été plus qu’agréable pour votre serviteur, et pour cause : au bout de 2 chansons, Son of Dave descend dans la fosse, marmonnant qu’il se sent seul sur scène et qu’il a besoin d’accompagnateurs. Il propose à la fille à côté de moi et à moi-même de monter l’accompagner ! Serviables, nous ne disons pas non et nous sommes installés, sous les encouragements de la foule, à une petite table où un majordome au pantalon zèbre (!) nous sert du champagne et quelques fruits.
Nous sirotons donc quelques verres, nous frappons du tambourin ou de Ia boîte à riz, et pour le final, on me fait même gonfler une énorme banane que je jette dans le public sous les vivas de la foule !! Bref, une première partie pas banale pour votre serviteur qui va ensuite se remettre gentiment à sa place.
21h30, les hostilités commencent. Les Stooges rentrent en scène sous les vivas de la foule et annoncent tout de suite la couleur en initiant un Raw Power tonitruant : si tu veux du André Rieu, va à la salle d’à côté, ici ce sont les bikers, les hellraisers, beer drinkers et autres groupies glam qui mènent le bal.
Le public, qui ne s’était pas franchement remué pendant une première partie assez pépère, se transforme instantanément. Il ne faut pas plus de 20 secondes pour que la fosse se transforme en chaudron, que des pogos s’improvisent un peu partout et que les slammeurs nous tombent dessus par vague.
Une ambiance de folie, donc, dont tout le mérite repose sur un seul homme. Iggy, emmerdé depuis des années déjà par une hanche qui se fait la malle, n’en a rien à secouer. Ce soir, comme toujours, il joue, chante et danse comme si sa vie en dépendait. Il prend la pose, se trémousse, se frotte, saute, se colle contre le public. Il bave, il court, il part à gauche, le public le suit, il est déjà à droite. Cette débauche de vie, cette folie à fleur de peau, et en même temps cette chaleur humaine, se propage tel un feu de paille dans la foule. Partout, les gens se lâchent comme jamais, se pressent, se serrent, vaguement conscients de la fugacité de cet instant si rare et si intense qu’ils sont en train de vivre.
Les tubes s’enchaînent, implacables. La majeure partie de Raw Power bien sûr ; Search and Destroy, Your Pretty Face is going to Hell, Penetration, etc. De mémoire, je crois qu’il n’y a que I Need Somebody qui n’est pas jouée. Les Stooges déroulent, les riffs de Williamson toutefois un peu trop noyés à mon goût sous la basse omniprésente de Mike Watt (chapeau à ce dernier, qui assure tout le set malgré une jambe pétée quelques jours plus tôt), dont la basse arbore d’ailleurs une photo du regretté Ron Asheton. En parlant d’Asheton, son petit frère Scott martèle les fûts tel un forgeron sur son enclume. Dans cette ambiance sursaturée, les notes du saxophone de Steve MacKay constituent un rafraichissement salutaire, tel un orage dans la Vallée de la Mort.
Arrive un des grands moments du show, désormais assez traditionnel, quand Williamson entame les notes de Shake Appeal. Iggy invite le public à le rejoindre sur scène. Ni une ni deux, j’enjambe la barrière et, avec une vingtaine d’autres personnes, je me retrouve sur la scène (pour la deuxième fois de la soirée !), à sauter partout, à haranguer le groupe, à bramer à plein poumon. Loin de jouer les stars, l’Iguane se laisse volontiers ploter par les filles et les garçons venus à sa rencontre comme s’il aller les guérir des écrouelles.
(jetez un oeil là)Je ne suis pas en reste, je m’approche, il se tourne vers moi et pendant qu’il me tend le micro, me regarde droits dans les yeux. Je suis nez à nez avec Iggy Pop, à un centimètre de son visage et nous beuglons à l’unisson « Shaaaaaaaake appeaaaaaaaal ». Cela dure une fraction de seconde, Iggy a déjà alpagué une autre personne, et moi je pourrais mourir. La chanson touche à sa fin, nous sommes gentiment mais fermement ramenés vers la fosse. On serre une dernière fois la main d’Iggy, et je le vois, des pépites dans les yeux, un sourire large comme un banane, l’air de se dire « je l’ai fait des centaines de fois, mais à chaque fois je m’éclate toujours autant ».
Le show continue et chaque chanson fait monter la température de 10 degrés. I got a Right, I Wanna be your Dog… quelle claque, mais putain quelle claque !
Après une courte pause, le groupe revient pour le rappel et balance un No Fun d’anthologie. L’organisation du festival distribuait à l’entrée des petits coussins en mousse, histoire de protéger les délicates fesses des spectateurs de la dure pierre de l’amphithéâtre (le Lyonnais est un peu bourge). Soudain, un coussin vole sur scène. Un deuxième suit, puis un troisième, puis un quatrième, puis… et puis c’est littéralement une pluie de centaines de coussins qui vole vers la scène, sous l’œil éberlué et goguenard du groupe
(allez voir par là pour vous faire une idée) ! Noyés sous les coussins, le groupe écrase les dernières notes et disparaît, vainqueur par KO contre 4500 pauvres mortels exténués, vidés, brimés, comblés après un show d’à peine 1h15 mais dont l’intensité n’a rien à envier aux marathons d’un Manu Chao.
Dans les minutes qui suivent la fin du concert, le feu d’artifice est tiré de la colline de Fourvière. Nous sommes aux premières loges, mais je regarde à peine. Mon feu d’artifice à moi, je l’ai vécu une demi-heure plus tôt sur scène avec le gardien le plus fidèle et le plus intègre du mot Rock ‘n’ Roll.
Je suis un gentleman ; c'est marqué sur la porte des chiottes.
Wallace Palès