par iangillan » 24 Juil 2012, 14:13
Je me permets de faire un copier-coller d'un post sur le forum Deep Purple, parce que je ressens, après une semaine de digestion, le besoin de dire quelques mots plus personnels sur le décès de Jon.
Franchement, après tous ces hommages plus poignants les uns que les autres, on ne sait plus quoi écrire. Mais j'éprouve malgré tout le besoin de dire l'admiration que j'ai pour Jon Lord, et ce d'autant plus qu'elle n'est pas venue de suite et n'est pas si simple et immédiate que celle que j'ai (eu) pour d'autres musiciens. On me pardonnera d'être éminemment subjectif, mais je n'ai pas envie de rappeler à quel point il était talentueux et brillant; car ce qu'il a fait, joué et écrit, nous le savons tous.
En effet, étant de "culture" essentiellement guitaristique, j'ai longtemps aimé le son de Purple incluant bien sûr Lord, tout en me surprenant parfois à attendre le moment où Ritchie prendrait le relais lors des solos. Je parle là des années 85, lors de ma véritable découverte du groupe dans le sillage de Perfect Strangers.
Lorsque je les ai vus pour la première fois, à 17 ans (Saarbrücken 1987), j'étais focalisé sur Gillan et Blackmore, et -- c'est terrible -- aujourd'hui je ne vois plus Jon dans mes souvenirs de ce concert. Il était là bien sûr, mais je ne m'en souviens qu'à grand peine, et, fait révélateur, uniquement pour le rappel, pour la simple raison que Blackmore avait refusé de jouer Smoke et que Jon avait dû tenir le riff.
La seconde et hélas dernière fois que je l'ai vu, c'était déjà tout autre chose: Freiburg 1991 -- je ne veux surtout pas rouvrir le débat sur cette ère, mais le fait est que je n'aimais pas beaucoup ce Purple-là, quels que soient mes efforts et ma bonne volonté. Or, dans ces conditions, et bien que je garde un souvenir mitigé de ce show (pour des questions disons vocales, et concernant la plupart des titres du nouvel album), je pense m'être davantage focalisé sur Jon, et cette fois-ci, c'est surtout lui (et Blackmore) que je retiens dans mes souvenirs. Pour la simple raison que l'âme de Purple était encore là, dans les échanges et l'interaction entre Jon et Ritchie. Elément secondaire mais peut-être non négligeable: étant parti vers la fin des années 80 dans un trip Doors, j'ai pour la première fois adoré un groupe où les claviers étaient sans doute plus en avant que la guitare, avec une inversion du schéma classique du rock: claviers illustrant la guitare ... Chez les Doors, Manzarek tenait plutôt le riff, et Krieger tournait autour ... Mon admiration naissante pour Jon était donc liée à une approche moins monologique du rock, une plus grande ouverture qu'on acquiert à la sortie de l'adolescence.
Mais je dois dire que ce n'est que récemment, en redécouvrant Purple en 2007 après près de 15 ans de divorce musical avec l'actualité du groupe (je m'étais arrêté à Battle rages on, où Jon n'est pas trop en avant), que j'ai enfin pris la pleine mesure de ce qu'était Jon Lord. J'avoue que là aussi, c'est complexe: en effet, autant j'étais curieux de ce que donnait le groupe sans Ritchie, et inquiet (quoique vite rassuré), je dois dire que Jon ne m'a pas manqué. Je sais, c'est terrible à dire. Mais Airey faisait le job, sans conteste, et si j'avais été aveugle, je crois que j'aurais cru que c'était Jon aux claviers. Les mauvaises langues diront que j'étais peut-être sourd plutôt qu'aveugle, mais le fait est là et c'est ainsi.
C'est donc en passant par la case Airey que je suis revenu à Jon. Pourquoi DP est redevenu en l'espace de quelques semaines mon groupe préféré, au début 2007, je ne saurais le dire avec certitude; sans doute qu'à chaque âge de la vie correspond un son, une alchimie bien particulière. Cela ne veut pas dire qu'on renie le passé, mais les différents groupes qu'on a pu aimer au cours de sa vie se tirent la bourre au fil des ans. Depuis 5 ans, DP est en pole position, loin devant. Et j'ai enfin compris que j'avais besoin, oui besoin, de ce son. Et ce son, que j'ai toujours aimé certes, est devenu une véritable passion. Et j'ai aussi compris que Jon Lord avait forgé ce son. Oh, je le savais, mais entre savoir et ressentir il y a parfois un long chemin.
Aujourd'hui, j'ai enfin compris que Jon Lord est irremplaçable -- quoique parfaitement remplacé -- et ce paradoxe, cette ambiguïté, explique ma relative perplexité face à son décès, appris au détour d'une émission d'infos de la BBC (je reviens de vacances au Pays de Galles). Parmi tout ce qui a pu être dit, ce qui me parle le plus, c'est cette simple petite phrase d'Ian Gillan, qualifiant Jon Lord de "Godfather of DP". C'est exactement ce que je ressens, ce que j'ai au fond toujours ressenti: Lord ne se prêtait pas à l'adulation, à l'"amour" irrationnel pour une star avec ses qualités et ses défauts (j'avoue éprouver qqch de la sorte pour Gillan, et avant lui pour Morrisson ou, plus trivialement, Angus Young -- on le voit, la liste est hétérogène et reflète bien la part d'irrationalité voire d'arbitraire dans ce genre de sentiments). Jon Lord, c'est une figure paternelle, intimidante par son génie, qu'on aime et qu'on respecte mais qui vous écrase par sa perfection, et face à Jon Lord je me suis toujours senti un petit gamin merdeux dépourvu de talent et de jugement. Un morveux.
Quand Gillan ou Blackmore, certes intimidants eux aussi, suscitent en moi une part d'identification (frauduleuse, bien sûr, mais le mécanisme du rêve est là pour ça), Jon Lord restera toujours pour moi une figure tutélaire inaccessible. Mais aujourd'hui, je sais ce que la musique lui doit et accessoirement, ce que je lui dois: il a eu une part décisive dans la création du plus grand son de tous les temps dans l'histoire de la pop et du rock.
Respect immense. C'était le Président de la République de Purplie. Je m'incline devant Jon Lord, le si bien nommé.
Whether I'm drunk or dead -- I really ain't too sure ...