par arnukem » 20 Oct 2009, 16:00
un an donne assez de recul pour pouvoir enfin se prononcer sur ce Black Ice, chose à laquelle je me suis refusé jusqu'à aujourd'hui.
Quand reviennent les sempiternelles questions des albums favoris, outre la dimension musicale, il y a pour tous -et ça nous est propre- cette dimension personnelle qui place la sortie d'un album dans un contexte particulier... dimension émotionnelle fatalement conditionnée par des éléments qui nous appartiennent, à chacun.
Dans un sens, pour me faire un avis précis de la qualité intrinsèque de Black Ice, j'ai envie d'omettre volontairement cette dimension là. Tout bien réfléchis, il me semble en fait totalement impossible d'en faire abstraction. Inconsciemment, elle pèserait dans mon jugement, quoi qu'il en soit.
Enfin.. essayons de commencer par la musique.. Un an après, Black Ice me laisse un sentiment vraiment mitigé. Principalement, parce que c'est la première fois dans la discographie du groupe que je ressens inexorablement un côté consensuel. Il y a le côté positif de celui-ci: l'ouverture vers des sons nouveaux avec Stormy May Day, des rythmes différents comme avec She Likes Rock'n'Roll etc.. et il y a le côté pernicieux: le sentiment de vouloir couvrir un grand spectre musical pour toucher un maximum de goûts.
Ceci m'emmène également à une réflexion sur la production. Comment la qualifier, quel terme pour la définir, quelle saveur a la production de ce Black Ice? Au final, le mot qui me vient, c'est impeccable. Problème, impeccable est-il vraiment un terme emphase avec un album Rock'n'Roll? Let There Be Rock est rugueux, For Those est puissant, The Razors Edge est lisse, Stiff est chaud, Black Ice est asepti.. euh.. impeccable. Que le qualificatif soit laudatif ou particulièrement critique, peu importe, en tous cas, il illustre un album, son identité. Quelle est l'identité sonore de Black Ice?
Bon venons-en aux compositions. Sont-elles en elle même consensuelles ou c'est le tout qui me donne cette impression? Commençons par l'exception: Anything Goes, ca sera fait. Je lui ai laissé sa chance, semaines après semaines. Mais non, je n'y arrive pas, je ne comprends pas. Je persiste et je signe, la chanson qui a mis quelques mois à créer en live à elle seule des embouteillages aux chiottes et à la buvette nous fera bien rigoler dans quelques années. Enfin rigolons pas trop non plus, c'est nous qui chantons et dansons sur son clip.. (car qui nous croiera quand on dira que c'était en fait sur Shoot To Thrill..?)
Rock'n'Roll dream. A part de donner la possibilité à Phil Rudd de montrer à ses détracteurs de quel bois Raoul se chauffe, je comprends pas non plus. Et depuis quand les chansons d'AC/DC se terminent par un vol de mouettes? Avez-vous d'ailleurs fait attention, jamais un album d'AC/DC n'aura quantitativement et proportionnellement contenu autant de chansons se terminant en fade-out. Traitez-moi de rétro, mais c'est pour moi assez symptomatique de l'album. Non vraiment, j'y tiens. Ce long accord de Malcolm, sur lequel Angus grisouille de la pentatonique en attendant que Phil nous plombe le Flac-bada-da pour clore le bordel m'est important. Au delà d'une marque de fabrique, c'est également révélateur de la qualité de ce qui est venu avant. Ballbreaker et Stiff en sont par exemple naturellement gavés. C'est l'évolution et la clôture logique d'un bon morceau, comme une sorte d'indicateur de "Rocketé" de la piste.
Continuons dans le moins bon: Wheels. Pas loin d'être une bombe et au final.. je n'arrive pas à m'ôter de l'esprit Lorenzo Lamas sur sa moto un dimanche après-midi sur TF1. Quel mauvais refrain caricatural.. je passe automatiquement.
Mais il y a aussi du fort bon. Anything goes mise à part, la "Face A" de l'album est plutôt très réussie. Rock'n'Roll Train est parfaitement taillée et même si War Machine et Big Jack sont quelque peu poussives en live, il n'en reste pas moins que ce sont de bonnes compos, efficaces. Autre grosse satisfaction: Stormy May Day. plutôt génial de retrouver de la slide sur un album d'AC/DC. On l'a quelque peu banalisé, mais au final, ça reste quand même un gros évènement.
Skies on Fire: sûrement ma piste préférée. Un mid-tempo très lourd, gluant, avec une très grosse frappe de Phil, des attaques très variées de Malcolm. Le type de morceau auquel on ne prête pas beaucoup d'attention au premier abord, mais tellement riche. Tout droit sorti de Flick of The Switch. Et puis, surtout, ça souligne l'un de très gros points positifs de Black Ice: l'intelligence et la maturité des boys. Le solo que plombe Angus sur ce Skies on Fire fait partie de mes préférés toute discographie confondue. Il souligne la tendance d'Angus, amorcée sur Ballbreaker, plus que confirmée sur Stiff à se focaliser sur le feeling, à faire migrer son jeu vers le blues. Ce solo là est magique, dans son rythme, sa rondeur, la vie qui en dégage. Grandi par les deux attaques courte/longue de Malcolm et le poids Phil, il s'élève et me transperse directement. Voilà l'AC/DC que j'aime. Voilà la touche inégalable, la magie de la cooking machine qu'est ce club des cinq. De manière générale sur Black Ice, de toute façon, le groupe est individuellement au sommet, quel bonheur. Quand je lis qu'Angus n'est plus aussi présent qu'à l'époque sur les albums.. je me raidis. Il l'est, plus que jamais. L'album est bourré de petits "licks" bluesy, Angus y est omniprésent.
Et putain, voilà que je m'agace. Car Black Ice, c'est l'histoire d'un potentiel exceptionnel bridé par bordel, je ne sais quoi ni pourquoi. Autre exemple: Rockin' all the way, 2:25". Je retrouve uniquement ici la folie boogie du groupe qui s'envoie en l'air. Ca a des relans de Up to My Neck In you, ca pousse fort derrière Angus à la Shake a Leg, ca groove, ça envoie enfin et vous savez-vous quoi? ça flac-bada-da, évidemment. Directement enchaîné sur le bon boogie-rock qu'est Black-Ice, enfin !
Au final, la profusion de titre dessert Black Ice, son homogénéité, son identité, son impact. Il contente du monde, oui mais à moi, me laisse un vrai goût d'inachevé. AC/DC n'est pas capable de mieux, AC/DC est capable de largement mieux. Et ce qui me chagrine le plus, c'est qu'ils en ont parfaitement conscience.
Heureusement pour Black Ice, il vivra toujours en moi émotionnellement parlant.
The Stones gave us an hour – that’s a dangerous thing to do. You don’t give us an hour before you go on, mate [...] The whole band just nailed it. We got into the van offstage and went, “Yeah, f**king follow that!” - Phil Rudd - Drum Magazine - 2005