par Phil77 » 01 Juin 2016, 16:15
La question est très intéressante. Je pense que pour pouvoir comprendre les ventes de Back in Black, il faut remonter à l'enregistrement d'Highway to Hell voire à l'époque de Let There Be Rock et Powerage. En '78/'79, on connait tous ici le chamboulement derrière les manettes de la production d'AC/DC: Exit Young/Vanda, bienvenue Eddie Kramer. Il est important de souligner dès à présent la différence entre ces hommes. Harry Vanda et George Young ont toujours été dans l'enregistrement et la production du AC/DC brut de décoffrage, quasi-minimaliste et intimiste (Let There Be Rock et Powerage en tête), témoignages de la fameuse recette originale AC/DC. Eddie Kramer, quant à lui, était déjà un faiseur de cartons avec des collaborations variées mais notamment Kiss, dont il a contribué à achever l'omniprésence du combo New Yorkais aux USA avec Bob Ezrin. Il y a très peu de place au hasard quant au choix du groupe et de la maison de disques sur la décision de prendre Kramer en producteur pour ce qui allait devenir l'opus de 79. AC/DC est un groupe sur le point d'accéder à une étape supérieure sur certains marchés, les États-Unis avant-tout, quoi de plus logique que de s'attacher les services d'un producteur pouvant mettre son grain de sel et contribuer au succès ? Sauf que ça ne passera pas avec Kramer, les méthodes de travail ne convenant pas au groupe, productivité 0.
C'est là qu'arrive le cher Mutt Lange. Jeune mais avec ses idées et sa vision de la chose, la sauce n'est finalement pas si différente. Un vrai travail de fond doit être entrepris, pas en live où le groupe a désormais très peu de comparaison à tenir mais sur les LP. Il faut être plus sérieux, plus mature, plus grand, plus professionnel. Bon disait qu'AC/DC n'était pas "un groupe de singles" OR c'est bien ça qui va faire grandir la bande. Sur Highway to Hell, en plus de la chanson titre, Touch Too Much fait figure d'exemple: quand on entend la version originale sortie sur Volts et celle que l'on connait tous depuis 1979, on est en droit de se demander les raisons du virement à 180° dans la structure, la composition même. Pas mal d'entre nous ici on toujours vus ce titre comme étant un single, potentiellement injouable (ou avec difficultés) sur scène dans le contexte d'un concert banal d'AC/DC. Sa seule et unique interprétation à Prague confirmant A MES YEUX la chose, je n'ai pas trouvé ça extraordinairement cool à entendre, c'était même chiant de mon côté. Passé le côté nouveauté, j'ai pas forcément été pris dans le tourbillon. (Bon après, je n'ai vu que du "Youtube à la con", certains diront que l'avis ne compte donc pas, ce à quoi je répondrais que s'il y a besoin d'être au concert pour vibrer, on a grave l'air con avec nos 400 éditions différentes de Powerage et tous nos disques. La musique reste la même, l'effet doit être le même je crois.) MAIS, c'est là que Touch Too Much remplit son rôle de single qu'on lui a donné: un titre qui passe moins bien en live voire pas du tout mais qui donne un corps à son disque d'origine, ce corps qui va faire dire au mec qui dépense son argent que cet album n'est pas qu'un "bon album" mais "L'album de l'année". Le coup s'est montré payant pour AC/DC avec Highway to Hell, la même chose s'est reproduite un an plus tard, dans une ambiance différente.
AC/DC a pleinement tiré profit de la transition Scott <-> Johnson. Remettons-nous dans le contexte, nous sommes en 1980, Back in Black va bientôt sortir, Brian est là et pas grand monde y croit. Jeter un coup d'œil du côté de la concurrence peut se montrer très parlant: The Who sont en stade terminal depuis 1978, Led Zeppelin signe sa dernière année et la réputation de dinosaure leur colle à la peau, Deep Purple appartient au passé depuis 1976, Black Sabbath se remet à peine de cinq années de pataugeage dans la semoule avec Heaven and Hell, Kiss est enfermé dans le trip du moment et Aerosmith implose. Quasiment tous les groupes aînés commercialement et/ou musicalement d'AC/DC sont affaiblis. L'affaire Bon Scott, qu'on le veuille ou non, rajoute du piment dans l'histoire avec un remplaçant si différent mais tellement lié à la fois. Back in Black est le testament de toute cette période. 1980 est au carrefour de deux décennies centrales dans l'évolution du Rock et de ses dérivés, les anciens bastions eux sont de plus en plus hors-course. Sauf un groupe, passé entre les gouttes car étant encore sur la pente ascendante. Inutile de vous lequel il s'agit... Le timing de Back in Black est absolument parfait: les vieux perdent leurs dents, les bébés (Iron Maiden et consorts) pleurent à cause des dents de lait qui poussent, on s'en remet donc au jeune adulte qu'est AC/DC, tout fier, bien droit et concentrant sur sa personne l'espoir familial.
Si l'on reste en '80, You Shook Me All Night Long est un single étant en plus un potentiel classique live dans la tête de l'auditeur depuis la première écoute, les 30 premières secondes faisant le job. On fait une pierre deux coups. Résultat ? Ça se vent comme des petits pains, ça peut rameuter plus de gens aux concerts déjà sold-out et quand on fait salle comble, on est le numéro un. Après tous ces millions d'exemplaires vendus viennent aussi dans la durée, AC/DC n'ayant jamais vraiment perdu de sa côte en live, les références dans la pop culture et aussi le fait qu'AC/DC soit un des groupes qu'on donne à écouter aux plus jeunes pour leur faire découvrir le Rock. Ça parait bête mais c'est un facteur important.
C'est la vision que j'ai sur le succès de Back in Black en tout cas et ce qu'a soulevé dimegoat peut aussi donner réflexion à d'autres albums comme les deux premiers Bat Out of Hell de Meat Loaf par exemple voire Rumours de Fleetwood Mac.