Episode 7 : Où l'auteur, un rien schizophrène, fait part d'un certain étonnement devant le fait que l'auteur (de l'épisode 6) veuille réduire les origines du hard rock à une radicalisation du rock'n'roll et du blues
Toujours dans une logique pragmatique consistant à écouter/constater d'abord pour caractériser ensuite, il nous faut à présent tenir compte d'un 3è ingrédient en présence, parce que celui-ci, bien que moins flagrant, se retrouve largement dans la « soupe primitive » qui donnera naissance au heavy rock sous toutes ses formes. J'hésite fortement à utiliser tel ou tel mot pour le décrire, mais comme il faut bien se lancer, je vais parler de « musique populaire blanche » (par opposition au blues et au rhythm and blues). Musique populaire au sens large : chanson populaire (surtout anglo-saxonne, évidemment), folk, pop etc
Ecoutons tout d'abord , disais-je– et comme on en était resté à Led Zep (pour les racines blues), restons-y -- même année, 1968 :
https://www.youtube.com/watch?v=wO6bRjcyQN8Observons la transition entre folk et hard !
C'est la reprise d'une folk song enregistrée pour la première fois au tout début des années 60 par Joan Baez (mais comme Joan Baez m'énerve, je refuse de poster le lien, facile à trouver), et faussement crédité de « traditionnel » sur l' album de Baez et sur Led Zeppelin I (« traditional, arranged by Page ») – pas forcément par malice, mais par ignorance (les origines du titre remontent à la fin des années 50, mais elle n'avait pas été enregistrée – entretemps Led Zep a dû verser un joli paquet de livres sterling à l'auteure, mais c'est une autre histoire). Bref, Led Zep « hardrockise » quelque peu une douce mélopée certes contemporaine, mais qui pourrait tout aussi bien dater de 1930 ou 1890....
L'objection qu'on peut faire est évidente : Led Zep est un cas à part, bien connu pour son mélange de hard rock et d'éléments folk (cf. Led Zeppelin III, 1970), un cas classique de mélange de styles.
Mais je n'y crois pas. A mon avis, c'est l'inverse : Led Zep a juste développé fortement un des éléments de la soupe originelle : rappelons-nous qu'on a commencé par les Kinks – et leur « power pop », pop étant au départ comme chacun sait une abréviation de « popular » (et finalement un synonyme (sémantiquement parlant) de « folk » (c'est juste le mot germanique volk=gens, peuple) ; bref, s'il y avait pas mal de « folk » et de « pop » et de « musiques traditionnelles » dans le hard rock , serait-ce si surprenant ? Tous ces petits blancs qui empoignent leur Fender ou leur Gibson pour radicaliser John Lee Hooker et Chuck Berry auraient-ils subitement oublié les disques dans lesquels ils ont baigné pendant leur enfance ? Pourquoi ne pas appliquer la même recette (amplis sur 11) à d'autres genres musicaux que le blues et et le rock'n'roll ?Et pourquoi diable un Ritchie Blackmore a-t-il l'idée saugrenue de baptiser son nouveau groupe de la chanson préférée de sa grand-mère, « Deep Purple » , plutôt que « Jailhouse Rock »? OK, c'est superficiel -- mais inversons le raisonnement: faudra-t-il bannir du genre "hard rock" toutes les chansons qui se basent sur de la "musique populaire traditionnelle/pop", sous prétexte qu'elles ne répondent pas au cahier des charges ? L'équation hard rock=blues rock joué à fond est certainement vraie pour un bon paquet de titres, mais un peu trop restrictive dans la
réalité !
Pour en revenir aux travaux pratiques, je choisis délibérément trois monstres sacrés du hard/heavy rock :
The Who – Pinball Wizard (1969) : cette mélodie, ce n'est ni du blues, ni du rockabilly. C'est de la pop, c'est-à-dire une version réactualisée de la musique traditionnelle des siècles précédents.
https://www.youtube.com/watch?v=aOUqRZkR8dEDeep Purple – Pictures of Home (1972) – pareil.
https://www.youtube.com/watch?v=Y4UjWtLyYBYBlack Sabbath – The Wizard (1970) – eh oui, même Black Sabbath !
https://www.youtube.com/watch?v=hMMfTYAJ3s8(pas tant l'harmonica que la mélodie à partir de 1.10 environ)
Si vous enlevez les guitares saturées et toute cette violence gratuite, ne voyez-vous pas des prairies humides avec des herbes hautes caressées par le vent du matin, des chevaux, un berger qui s'accompagne au violon tout en caressant un agneau (Jimi Hendrix jouait bien avec les dents, alors ce doit être possible) ?

Et maintenant, songeons à la postérité que cela a pu avoir (pour vérifier que ce n'est pas qu'un phénomène transitoire, mais bien un ingrédient constitutif du genre);
fredonnons tranquillement, sans beugler et en débranchant les guitares, « Run to the Hills » de Maiden (lien inutile, je pense) – moi, j'entends davantage une chanson anglo-saxonne du 19è qu'un blues.
Tiens, la preuve, me voici dans ma salle de bains en train de faire le test
https://www.youtube.com/watch?v=dS7pCH_wh7c(NB incidemment: j'ai cherché une
illustration dans le genre folk, ce n'est pas la version folk qui m'a donné l'idée !)
Même chose avec « You got another thing coming » de Priest – notamment le passage « If you think I'll sit around as the world goes by » (vers 0.50), voire le refrain:
https://www.youtube.com/watch?v=dTReZ0Ve1FwEt je pense qu'on pourrait même faire le test sur The Furor d'AC/DC !
Bref, nous avons identifié, me semble-t-il, un 3è ingrédient de la soupe originelle dont émerge le hard.
Mais …. tiens tiens, Led Zep, The Kinks, The Who ... mais aussi Black Sabbath, Maiden … voire Judas Priest … Comme c'est bizarre … N'aurions-nous pas là un substrat commun à nos deux genres cousins, hard et metal ?
(à suivre)
Whether I'm drunk or dead -- I really ain't too sure ...